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vieille femme du bourg, qui s’entendait à ces affaires, n’y ayant pas de femme-sage dans le pays. La mère Jardon était venue aussi, pour aider à la soigner. Cette vieille me dit de m’en aller, que je ne faisais que la déranger, en tournant et retournant toujours autour de ma femme ; alors elle en se riant, quoique ça commençât à piquer, me dit : Va au moulin, mon Hélie, va. Et moi je descendis au moulin, où je ne pus rester en patience, allant, venant, sortant, rentrant, sans tenir un instant en place, et me plantant souvent sur la porte, pour savoir plus tôt quand ça serait fini. Enfin, une heure après, la mère Jardon sortit sous l’auvent, en essuyant ses yeux avec son tablier, et me cria : C’est un mâle.

Ha ! et je montai vivement à la maison. Le petit était déjà mailloté et dormait, tout rouge à côté de sa mère. La pauvre n’était pas rouge, elle, mais un peu pâle au contraire, et ses yeux mâchés se fermaient. Je l’embrassai longuement, comme pour la remercier d’avoir si bien travaillé. Mon oncle vint aussi tout content, et lui dit : — À la bonne heure, ma fille, tu as commencé par un drole et tu n’as point crié ; tu es une femme ! et il l’embrassa, et moi encore après lui. Gustou monta aussi du moulin, et il dit qu’il fallait faire boire du vin pur au petit, afin que plus tard il pût boire tant qu’il voudrait sans se griser. Mais nous ne le voulûmes point. Afin de les contenter lui et la vieille, il fallut tuer un coq pour en faire manger à ma femme ; si elle avait eu une fille, ça aurait été une poule : le coq dans la soupe, ça ne pouvait faire de mal à personne, n’est-ce pas ?

Après ça, la vieille nous dit : — À cette heure, il faut la laisser dormir ; allez-vous-en tous. Et nous nous en allâmes, moi tout fier d’avoir un garçon ; il me semblait qu’étant père maintenant, j’étais un tout autre homme.

Au bout de deux jours, ma femme commença à se