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j’étais allé au marché de Thiviers, je ne me rappelle plus pourquoi, et tout en faisant mes affaires, je vis passer ce grand chenapan de maréchal que j’avais si bien frotté à Négrondes, le jour de la dernière vôte, parce qu’il faisait l’insolent avec Nancy. Il avait un fusil pendu à l’épaule par une bretelle de lisière, et en passant près de moi il me regarda d’un mauvais œil. Mais je m’en moquais bien à cette heure, Nancy était à moi, et il n’y avait rien à faire. Je m’attardai un peu dans une auberge, avec mon oncle Chasteigner qui était venu vendre des truffes, et l’Angelus sonnait quand je partis.

Je m’en allais tranquillement, marchant d’un bon pas, car il me tardait d’arriver, comme toujours lorsque j’étais dehors. J’avais passé Puyfeybert, et je n’étais pas bien loin de la Côte, dans le chemin qui traversait un bois-châtaignier, lorsque, en arrivant à un endroit où il y avait un gauliadis ou bourbier, il me sembla voir remuer quelque chose derrière un gros châtaignier qui se trouvait sur la gauche. Au lieu de passer par le sentier que les gens avaient fait dans le bois, pour éviter le gauliadis, ce qui m’aurait mené passer rasis le gros châtaignier, je traversai dans la boue en enjambant sur des grosses pierres qu’on avait mises dans ce mauvais chemin. J’étais presque sorti de là, quand tout d’un coup, je me sentis poussé par derrière et criblé, comme si on m’avait jeté une poignée de graves, et en même temps j’entendis un coup de fusil. Cette poussée, au moment où je n’avais qu’un pied posé sur une pierre, me fit trébucher et tomber. Étant étendu tout de mon long, j’entendis les pas d’un individu qui s’en galopait, et, tournant la tête tout doucement, je vis un grand gaillard avec un fusil. Pardi, que je me pensai, c’est cette canaille de maréchal ; et je restai un moment tranquille, parce que je n’entendais plus ses pas, et que je me disais qu’il s’était planté et qu’il