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les millassous, une marmite, une poêle à longue queue et plusieurs paires de sabots usés. Dans les endroits où le chargement laissait des vides, on avait placé un sac de farine à demi plein, quelques pots de terre, des hardes, des chiffons et deux tourtes de pain noir. À la cime de ce pilo de meubles et d’affaires, étaient assis, sur les paillasses, deux enfants de quatre et de sept ans.

Voilà toute la richesse de cette famille ; voilà tout ce que depuis une centaine d’années elle avait amassé par un travail dur et acharné ! Et maintenant qu’on nous dise que la propriété vient du travail ! pour quelques-uns, je ne dis pas ; mais combien est grande la foule de ceux qui de père en fils travaillent, suent et peinent à force, et sont misérables !

Nous savons ça chez nous, et c’est pourquoi on dit communément : Les pauvres seront toujours pauvres !

Ah ! quand donc se lèvera sur le peuple le soleil de la Justice !

À côté de la charrette, marchait une forte femme brune, avec un nourrisson sur les bras, et son bas dans sa poche de tablier. Un drole de seize ans se tenait près d’elle, et de temps en temps portait le petit enfantelet pour soulager sa mère, qui pendant ce temps, comme une vaillante femme qu’elle était, faisait un tour ou deux de bas ; derrière, le labri suivait en trottinant. Tout ce monde était triste et dolent de quitter la métairie que la famille travaillait depuis si longtemps, et où le grand-père, infirme, était né avant la Révolution. Mais cette tristesse était muette et résignée, c’était la tristesse du pauvre paysan périgordin, qui depuis des siècles et des siècles mord les dures tétines de la Pauvreté.

Il tombait une petite brume fine. La charrette tressautait lourdement sur les pierres du chemin, et les enfants, juchés en haut, s’attrapaient à la corde qui