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quoi, il n’y avait pas de loi, pour estimer la plus-value donnée par le travail, et les récompenser ; et puisqu’il n’y en avait pas, pouvaient-ils résister ? Les gendarmes d’Excideuil n’étaient-ils pas prêts à empoigner, le procureur de Périgueux prêt à requérir, les juges prêts à condamner, et les geôliers de la prison, contre Tourny, prêts à enfermer ? Triste chose que le pauvre soit toujours étranglé par la loi.

Les misérables gens se préparaient donc à partir ; mais le curé Pinot, venant un jour au château, entra chez eux et les consola à sa manière. Il leur représenta que rien dans le monde n’arrivait sans la permission divine, et que, par ainsi, Dieu trouvait bon qu’ils fussent renvoyés puisqu’ils l’étaient en effet. Et il les exhorta à se soumettre aux vues de la divine Providence, qui sait mieux que nous ce qui nous convient. Les pauvres diables n’avaient rien à répondre à ça ; la loi divine était aussi dure pour eux que la loi humaine, et ils se résignaient. Après ce petit prêchement, le curé s’en fut souper avec M. Silain, qui l’avait invité à manger d’un lièvre en royale.

L’injustice m’a toujours soulevé et révolté ; je n’ai jamais pu la supporter ni pour moi ni pour les autres. Aussi cette méchanceté de M. Silain me mettait dans une colère noire. J’aurais donné je ne sais quoi pour que la grange de la Borderie fût prête, afin de prendre ses métayers et de les mettre bien à leur affaire tout près de lui, pour lui faire dépit. Je ne me gênais donc pas, comme on peut le croire, pour dire tout ce que je pensais de sa méchante action. Mais il faut le dire, guère personne ne faisait comme moi.

M. Lacaud disait partout, non pas à moi, car je l’aurais bien relevé, mais il disait à qui voulait l’écouter, que M. Silain avait bien fait de jeter ces insolents à la porte ; et les pauvres gens à qui il s’adressait répondaient :