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quoiqu’il ne le fût pas de nature, comme je l’ai dit. Mais maintenant, il voyait qu’il s’enfonçait tous les jours davantage, et que dans quelques années, pas beaucoup, tout serait mangé, ça le rendait fou. Il y avait des moments où ça lui faisait même faire des bêtises contre ses intérêts, comme lorsqu’il renvoya ses métayers de dedans la cour, qui étaient là depuis une centaine d’années, et qui nourrissaient la maison, car c’était de bons travailleurs.

Je ne sais pas trop à quel propos ça arriva, mais il paraît qu’il était furieux après le frère plus jeune du métayer, qui venait de rentrer du service ayant fait ses sept ans, et qui lui répondit, un jour qu’il se fâchait pour des riens et les traitait comme des chiens :

— Vous savez, notre Monsieur, qu’il n’y a plus d’esclaves ! même les nègres sont hommes, aujourd’hui !

Là-dessus il les avait renvoyés. Le métayer avait bien été le trouver et avait demandé pardon pour son frère, le pauvre diable ; la demoiselle Ponsie avait prié, supplié et même pleuré, rien n’y avait fait. Le garçon qui lui avait répondu était allé se louer ailleurs, mais ça n’était pas assez, et il leur fallut partir tous.

Qu’avaient-ils à dire ?

La terre était à lui, n’est-ce pas ? Et s’il lui plaisait d’y mettre d’autres métayers, ou de la faire valoir par des domestiques, ou de la laisser en friche, qui pouvait l’en empêcher ?

Sans doute ils auraient pu répondre que cette terre, sans eux, n’eût amené que des ronces, des chardons, de l’ivraie et de la traînasse ; que leur travail seul lui faisait porter du revenu ; que depuis cent ans les peines et les sueurs de quatre générations de leur famille l’avaient amendée, bonifiée et faite, pour ainsi parler, et qu’il était bien dur d’en être chassés. Mais