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si c’eût été quelque pauvre diable de socialiste pareil à Lajarthe : il ne se rappelait plus, la tête de citrouille, que lui aussi avait dit la même chose, le jour où il avait béni l’arbre de la Liberté devant son église.

Quant à M. Silain, il criait, partout et à qui voulait l’entendre, qu’il n’y avait pas à disputer avec les rouges, qu’il n’y avait qu’à les foutre à l’eau partout.

C’est une chose bien triste, quand on y pense, qu’une classe de citoyens cherche toujours à maîtriser les autres, sous prétexte de religion ou de gouvernement. Autrefois, c’était les catholiques qui traitaient les protestants comme des chiens, leur volaient leurs enfants, les envoyaient aux galères et les chassaient de France ; c’était aussi les nobles qui se prétendaient les maîtres du peuple, et le tenaient dans une dure condition. Et pour lors, c’était les riches, ceux qui jouissaient, qui voulaient maintenir les pauvres, ceux qui travaillaient, ceux qui souffraient, dans leur misère. Le curé Pinot disait là-dessus, croyant répondre aux républicains, que le travail était la loi de Dieu depuis la malédiction d’Adam, et que par conséquent ceux qui subissaient cette loi n’avaient pas à se plaindre. Mais il n’expliquait pas pourquoi, parmi les enfants d’Adam, il y en avait qui ne travaillaient point, et ne gagnaient pas leur pain à la sueur de leur front, mais, au contraire, vivaient, largement et à l’aise, du travail des autres. Si bêtes que nous fussions alors, nous autres paysans, nous comprenions bien ça : nous n’aurions pas trop su le dire, mais nous le sentions. Il n’y avait personne dans la commune, par exemple, qui ne trouvât que M. Silain était un mangeur, un homme qui toute sa vie avait été inutile et même nuisible ; et quand il parlait de foutre les autres à l’eau, tout le monde pensait qu’il faudrait commencer par lui.

Plus il allait, plus il devenait méchant, M. Silain,