Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/231

Cette page a été validée par deux contributeurs.

en le regardant. La chanson de Roumy finie, mon cousin coupa la soi-disant lie-chausse en morceaux, et les distribua aux jeunes gens qui les mirent à leur boutonnière.

Et on continua à chanter, et dans les chansons, il y en avait de gaies, et ça faisait rougir un peu Nancy, comme aussi les plaisanteries qu’on nous faisait : plaisanteries de nos anciens, vieilles et naïves comme eux. Pour dire ce que j’en pense, j’aime encore mieux ces coutumes paysannes que celles des bourgeois, qui trouvent ça pas distingué, et s’en vont en voyage au sortir de table, comme s’ils avaient honte de dormir ensemble au vu de tous leurs parents et amis ; que ne gardaient-ils leur ancienne cérémonie du coucher de la mariée, au lieu de s’ensauver comme deux amoureux qui se dérobent pour aller faire l’amour ?

On porta enfin le café, et pour quelques-uns qui étaient là, comme le cousin du Coucu et d’autres, c’était une chose rare. Il nous avait fallu emprunter des tasses chez Maréchou, et Jeantain en avait porté de chez lui, et Lajaunias aussi, car on pense bien que nous n’en aurions jamais eu assez pour tant de monde.

Quand on eut fait force brûlots, rincettes, sur-rincettes avec de l’eau-de-vie du pays, et pris du cognac que j’avais apporté, mon oncle alla chercher une grande bouteille de pinte et dit :

— Voici de l’eau-de-vie faite par mon grand-père il y a de ça quarante-cinq ou six ans. Je l’ai gardée depuis longtemps pour cette occasion : rincez donc vos tasses et nous allons boire à la santé de mon neveu et de ma nièce, ou pour mieux dire, de mes enfants.

Entendant cela, Nancy me serra la main et ses yeux se mouillèrent.

Mon oncle fit le tour de la table pour servir chacun de sa main, et quand il eut fini, il revint à sa place et, levant sa tasse, dit posément :