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être toujours ; que les jeunes gens ne devraient se décider que d’après les convenances de personnes, et les qualités du cœur et du caractère, parce que c’était là des richesses qui valaient mieux que les écus ou les meilleures hypothèques, et que l’on ne craignait pas de perdre.

Il parla ainsi un moment, et tout le monde l’écoutait en silence, car il disait de bonnes choses en patois, et ça faisait grand plaisir d’ouïr, dans notre langage paysan, de fortes paroles qu’on n’est pas accoutumé d’entendre, aux noces, ni ailleurs.

En finissant, il dit qu’il espérait que nous aurions beaucoup d’enfants pareils à nous, ce qui fit rougir Nancy qui pendant tout ce prêchement baissait les yeux, il ajouta qu’il ne nous souhaitait pas le bonheur, mais qu’il nous le prédisait, parce qu’il était force forcée que, dans les conditions où nous nous étions mariés, nous fussions heureux. Tout ce que nous pouvons désirer aux nôvis, braves gens, c’est la santé, et pour cela, si vous voulez, nous allons y boire.

Tout le monde battit des mains, et les verres étant remplis, chacun se leva et vint trinquer avec nous, après M. Masfrangeas.

Quand on se fut rassis, on parla de chanter, et ce fut le fils Roumy qui commença.

Tandis qu’il chantait, et que tout le monde écoutait en regardant, je vis mon cousin Ricou qui avait fait semblant de tomber son couteau, et se coulait sous la table. Je dis un mot à l’oreille de Nancy et elle rassembla ses cotillons, et ramena ses pieds sous sa chaise. Lui arriva à quatre pattes sous la table, et dit tout doucement :

— Cousine, laissez-moi prendre votre lie-chausse.

Nancy, sans rien dire, tira de sa poche un ruban bleu et tenant toujours ses jambes serrées, le lui donna et il s’en retourna. Lorsqu’il se remit à sa place, il avait l’air tout capot, et je me mis à rire