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les bouteilles qui étaient sur la table, et apportèrent du vin de cinq ans de notre vieille vigne, qui était de crâne vin.

À ce moment, on avait déjà pas mal bu, et tout le monde était un peu rouge et bavardait. Je n’écoutais guère ce qui se disait, je parlais tout bas à Nancy au milieu du bruit, et lui serrant la main sous la table, nous oubliions de manger.

Mais une fois que ces gaillards-là eurent fini le rôti, ils commencèrent à nous plaisanter et à nous brocarder, comme c’est la coutume aux noces ; c’était salé quelquefois, mais avec ça rien de trop.

Pour la desserte, on couvrit la table de tourtes aux prunes, aux pommes, de massepains, de gaufres et de fruits : poires, pommes, raisins, noisettes, est-ce que je sais ? et avec ça de grands saladiers de crème. On n’avait pas oublié non plus de ces grandes tartelettes qu’on appelle des oreilles de curé, je ne sais pourquoi, et qu’on casse d’un coup de poing sur les assiettes : c’est sec, ça ne coule pas aisément, et il est forcé de boire dur en mangeant.

À un moment, M. Masfrangeas tapa quelques coups sur son verre, et se levant, les joues rouges, les yeux luisants, fit signe qu’il voulait parler : quand on vit ça tout le monde se tut.

Il commença par faire son compliment à la nôvie, et à se féliciter d’avoir été chargé de représenter ses tuteurs au mariage. Ensuite il fit l’éloge de Nancy, de sa personne, de sa sagesse, de son bon sens, de son honnêteté et de son bon cœur, et il dit qu’une dot comme ça assurait la prospérité d’une maison, mieux que la fortune. Après cela, passant à moi, il convint que, quoique jeune et un peu original déjà, j’avais montré du jugement en préférant cet apport à l’argent, en prenant une fille pauvre de bien, mais riche de qualités.

Il continua, disant que c’était ainsi qu’il en devrait