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pas par froideur qu’elle faisait ainsi, car des fois en embrassant je voyais ses yeux se fermer et je sentais son cœur battre bien fort ; mais chez elle la raison ne s’endormait jamais ; et puis, il faut le dire, j’étais moi-même assez sage et point aussi hardi que le sont quelquefois les garçons.

Quelques jours avant la noce je voulus que nous allions convier la demoiselle Ponsie. Un soir, ayant épié le jour que M. Silain n’était pas à Puygolfier, nous y montâmes.

Elle était dans le salon à manger, qui faisait là tristement son bas toute seule. D’abord qu’elle nous vit, elle se douta pourquoi nous étions montés, et venant vers nous, elle embrassa Nancy, et puis nous fit asseoir. Lorsque je lui eus dit que nous étions venus pour l’engager à notre noce, elle secoua la tête doucement, d’un air triste, et nous dit qu’elle n’avait pas le cœur à aller à noces, mais qu’elle viendrait à l’église prier le bon Dieu de nous rendre heureux.

— Tu as fait preuve de bon sens et de raison, Hélie, en choisissant Nancy ; je la connais bien, et je te promets que tu n’auras jamais une heure de regret. Elle n’a rien, c’est vrai, mais tu as assez pour elle, et ce que tu as, elle est femme à le faire prospérer. Ce n’est pas tout les maisons, il faut surtout les conserver. Et on voyait bien à ça qu’elle pensait à la sienne, ruinée par son père. Lorsque nous fûmes pour nous en aller, elle tira de son doigt une petite bague à pierre bleue et la passa à celui de Nancy ; puis elle l’embrassa encore, les yeux mouillés, la pauvre créature.

— Demoiselle, lui dis-je, vous savez que vous aurez toujours au moulin, des amis, bien petits, c’est vrai, mais qui vous aiment et vous respectent bien ; et si jamais vous aviez besoin d’eux, de jour ou de nuit, comme que ce soit, ils seront toujours à votre