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suis un de ceux que vous appelez : rouges, et je crois en avoir autant que bien d’autres.

— Oui ! oui ! je m’entends ; tous ces gens qui prêchent le désordre ; ces journaux comme la Ruche, qui excitent à la haine du Président de la République, les démoc-soc, on devrait faire taire tout cela.

— Et laisser parler les curés seulement, n’est-ce pas ? acheva mon oncle. Hé bien, écoutez-moi : je suis un de ces hommes dont vous parlez, et où voyez-vous que je prêche le désordre ? Je voudrais au contraire que chacun fût tranquille chez lui, en travaillant, et je ne déteste rien tant que ceux qui exploitent les travailleurs, et les rendent tellement misérables qu’ils les forcent à se révolter : voilà les hommes de désordre.

— Mon Dieu, dit le curé, encore vous, quoique vous ayez des idées bien mauvaises, vous n’êtes pas un méchant homme, mais parmi les rouges et les socialistes les gens honnêtes c’est l’exception.

— Oui, dit mon oncle, le triage que vous faites pour moi, parce que vous me connaissez, d’autres le font pour leurs voisins républicains qu’ils connaissent, mais moi qu’ils ne connaissent pas, je suis pour eux une canaille, comme pour vous le sont tous les républicains que vous ne connaissez pas : vous voyez comme c’est peu raisonnable.

Au bout d’un moment de cette discussion, mon oncle dit : Je m’en retourne au moulin ; tout ça ne fait pas les affaires.

Le curé le suivit quelques pas, et lui parla de mon mariage, qu’il ne fallait pas prendre le jeudi prochain, parce qu’il n’y serait pas, devant aller à une conférence ce jour-là, et puis qu’il était temps de venir se confesser.

— C’est que, dit mon oncle, il n’en a pas bien envie.

Là-dessus, le curé tressauta, et s’écria que c’était