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casseries les oublie un moment, et le pauvre en supporte mieux sa misère. Il fait profiter les enfants et il ragaillardit les vieux. Avec du pain et du vin, on marche, on ne craint point la fatigue ; il donne du cœur aux couards et de la force aux faibles : c’est une bonne chose que le bon vin !

Et il regardait son verre avec plaisir en disant tout cela sérieusement.

— Supposons, continua-t-il, qu’il vienne un temps où nous n’ayons plus de vin, qu’est-ce que nous deviendrions ? Qu’est-ce qui nous soutient nous autres qui ne mangeons de viande qu’au carnaval ? Un bon chabrol après notre soupe, et quelques verres après, en mangeant nos pommes de terre ou nos haricots : avec ça nous voilà prêts à continuer notre travail. Pour moi, sans vin, je ne marcherais pas, et si le temps venait où les vignes crèveraient, comme on dit que c’est arrivé il y a deux cents ans, je préfère être sous terre à ce moment-là ; mais il faut espérer que nous ne verrons pas ça.

Puis il but son verre et le posa sur la barrique en disant ;

— Allons, bonsoir à tout le monde, et merci.

— À Dieu sois, Brizon ; et le voilà reparti.

La lettre était de M. Masfrangeas qui nous mandait que les Messieurs de l’hospice lui avaient donné procuration de consentir au mariage de Nancy, et qu’ainsi il viendrait pour sûr à la noce, mais qu’il fallait lui faire savoir, quelque semaine auparavant, le jour juste, afin qu’il s’arrangeât en conséquence.

Le soir il fut convenu avec mon oncle, que ce serait pour la fin du mois. Puis après, en comptant sur le monde que nous pourrions avoir, parents et amis, il se trouva que nous serions trente ou trente-cinq au moins. Sur ce nombre, il y en avait qui étaient de loin, et je leur fis un bout de lettre ; mais quand je fus à deux cousins du côté de Jumilhac et de Saint-