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tira son couteau, coupa une bouchée au chanteau et s’assit sur une cosse de bois.

Dans le commencement qu’il était piéton, les gens lui disaient, voyant ses yeux rouges : Il vous faut y mettre de la pommade des messieurs Theulier, de Thiviers, ça vous guérira. Mais lui répondait qu’il en avait usé cinq ou six pots qui ne lui avaient rien fait ; qu’il était vrai que cette pommade était tout à fait bonne pour les autres, mais que pour lui elle ne valait rien. Avant tout, il me faut marcher, faisait-il ; un bon verre de vin m’éclaircit la vue et me donne des jambes. Si mes yeux restent rouges, tant pis. Je ne me sers plus que de la tisane vineuse.

— Hé ! lui dit mon oncle en emplissant le verre à la canolle, un peu de tisane, Brizon ?

— Ça n’est pas de refus, dit-il en se riant.

Et il prit le verre, le tournant vers le jour pour mirer la belle couleur, le mettant sous son nez pour renifler la bonne odeur. Puis, quand il l’eut bien regardé et flairé, il but lentement, par petites gorgées d’abord, s’arrêtant avec plaisir et branlant la tête tout doucement. On connaissait, rien qu’à le voir faire, que ce n’était pas un ivrogne, un avale-tout, mais un homme qui aimait le vin et jouissait lorsqu’il en tâtait de bon.

— Voilà un crâne vin, fit-il, je n’en ai pas bu de meilleur dans ma tournée ; il n’y a que celui de Germillou de Magnac qui le vaille.

C’est qu’il a de vieilles vignes tournées au midi, et qu’il les soigne bien, dit mon oncle ; et au bout d’un moment :

— Un verre de plus, n’est-ce pas ? tu ne pourrais pas t’en aller sur une jambe.

Allons-y, fit Brizon en se levant ; et il prit le verre plein, et l’éleva un peu en l’air. — C’est une bonne chose tout de même que le bon vin, dit-il, il n’y a de mal qu’il ne guérisse. Avec lui, celui qui a des tra-