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— Hé ! Pierrichou, viens tâter un peu le vin nouveau !

C’était le bon temps, le vin abondait, et on n’y regardait pas de si près. Un verre était là, près de la cuve, sur une barrique, avec un chanteau, une tête d’ail, du sel dans une assiette et des noix. Après avoir mangé une bouchée, les gens remplissaient leur verre à la canolle d’où le vin coulait dans un grand baquet fait à l’exprès, en faisant une belle mousse rose.

Brizon, le piéton, vint ce jour-là. C’était un bon diable qui nous portait la Ruche et quelquefois des lettres. Il avait les yeux toujours rouges, et il expliquait ça en disant que durant l’été, en faisant sa tournée par les grandes chaleurs, il avait soif et buvait dans les ruisseaux et que les joncs lui piquaient les yeux ; et les gens riaient. Mais il n’y avait qu’à voir sa figure rougeaude et son nez luisant pour connaître que ce n’était pas en buvant de l’eau que ses yeux étaient devenus rouges.

— Salut ! fit-il en portant la main à sa casquette de cuir, comme un ancien troupier qu’il était. Voilà une lettre pour vous, Nogaret, et voilà aussi le journal.

— Merci, fit mon oncle.

Toutes les fois que Brizon venait chez nous, c’était réglé qu’il cassait une croûte et buvait un coup. C’est assez l’habitude en Périgord, que les piétons mangent et boivent dans les maisons où ils passent d’habitude. Au commencement de leur tournée, ils mangent la soupe et font chabrol ; plus loin, ils mangent un morceau ; ailleurs, ils mérendent, c’est-à-dire font collation ; partout ils boivent un coup. Il n’y a pas si pauvres gens qui ne les fassent trinquer, lorsqu’ils leur apportent une lettre du fils qui est au service et qu’ils la leur lisent : il faut bien, puisqu’ils ne savent pas.

Brizon, donc, n’avait pas besoin d’être convié ; il