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J’ai toujours été rétif à gouverner, lorsqu’on voulait me faire faire sans raison quelque chose, ou lorsqu’on voulait me faire prendre une opinion, sans me montrer qu’elle était la meilleure. Je passais à cause de ça pour entêté, parce que je ne changeais d’idée qu’après que je voyais que j’avais tort. Ça n’était pas le tout de me le dire, il fallait me le prouver ; alors je cédais. Mais autrement non, quand ça aurait été le préfet qui me l’aurait dit. Je me souviens que lorsque ma mère me faisait aller au catéchisme, et que le curé nous parlait de la Sainte-Trinité, de l’Incarnation et du reste, et nous disait qu’il fallait croire à tous ces mystères sans les comprendre, j’avais beau me battre les côtes pour ça, je ne pouvais pas y arriver. Tout ce que je pouvais faire, c’était de n’y point penser, et de ne pas me poser la question à moi-même. En ce temps-là, je mettais de la bonne volonté à croire, bonne volonté inutile d’ailleurs ; mais depuis que j’ai été jeune homme, il a suffi qu’on ait voulu m’imposer quelque chose par autorité, pour que je me sois toujours rebiffé.

Tout cela est pour dire que je finis par me rendre aux bonnes raisons de mon oncle. Mais celui qui fut le plus dur à entendre la chose, ça fut le père Jardon. N’oyant plus parler de la noce, il commença à s’inquiéter ; il demandait déjà tous les jours à Nancy pour quand c’était ; mais elle lui répondait que ce serait dans quelque temps. Ce retard et ces réponses en l’air ne faisaient pas son affaire. Depuis qu’on lui avait promis de le mettre dans le petit bien du Taboury, il avait une peur du diable que le mariage vint à se manquer. Comme il était soupçonneux et méfiant comme tout, il se figurait sans doute qu’on avait mis la noce si loin, pour lui faire quelque tour, pour se passer de lui peut-être, et pour lui manquer de parole pour le bien. Ça ne veut pas dire qu’il nous crût canailles ; non, il nous en aurait voulu à la