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coup d’enfants qui furent pauvres par conséquent. Notre famille vient d’un bâtard du premier marquis d’Hautefort, appelé Charles. Son père, qui l’aimait beaucoup, l’avait établi au château de Chaumont, dans la paroisse d’Ajat, et puis ensuite dans le bien noble de Nadalou, près de Montignac. Ce Charles, de son vivant, fut lieutenant du Prévôt des Maréchaux à Sarlat, et son fils, qui s’appelait François, lui succéda dans cette place. La famille était riche en ce temps-là, mais à force de se diviser entre les enfants, le bien s’éparpille et disparaît. C’est ce qui nous est arrivé ; de manière que moi qui, en fin de compte, descends du même auteur et suis du même sang que les Messieurs d’Hautefort, je raccommode les membres, tandis que nos ancêtres communs les cassaient : voilà comment vont les choses.

— Ma foi, lui dis-je, raccommoder les membres, ça vaut toujours mieux que de les casser.

Il se mit à rire : Sans doute, mais avec ça, quoiqu’on ne soit plus que des paysans, on aime à se rappeler qu’on vient d’une grande famille. Vous me direz que c’est de la fumée ; je ne dis pas le contraire, mais en y regardant de près, tout est fumée, et nous ne vivons que de ça.

Sur ma demande, Labrugère m’apprit que cette habileté à remettre ou à raccommoder les bras, jambes, côtes et os quelconques, venait de son bisaïeul, et que ce don de nature avait été transmis, avec des enseignements pratiques, à son grand-père Bernard, qui avait à son tour enseigné son fils aîné ; en sorte qu’il y avait en ceci, un don naturel, des secrets de famille et une habileté héréditaire. Mais, ni le bisaïeul, ni le grand-père, n’en faisaient point un métier ; ils se bornaient à rendre service autour d’eux par bonté, allant même assez loin si on les faisait demander, tandis que lui-même et son père aussi vivaient de cet état.