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s’était démanché une épaule, il me versa à boire en disant : Ça n’est rien pour Labrugère, dans un tour de main il aura remis tout en place :

— À votre santé !

Il n’y en a point de pareil à lui pour ces choses-là, ajouta-t-il, pas plus à Bordeaux ou à Limoges qu’à Périgueux ; ça vient de famille : son père était aussi des plus adroits.

— À la vôtre !

— Il n’y a jamais eu, voyez-vous, de médecins dans le pays pour arranger un membre cassé ou démis, comme les Labrugère.

Je le croyais sans peine, car en ce temps-là, il y avait dans nos campagnes des gens qui se disaient médecins et qui n’étaient que de mauvais drogueurs, saignant les gens à pleines cuvettes, et ne sachant guère rien faire de plus, ne l’ayant point appris. J’en ai connu un, qui avait raccommodé de travers le bras d’un enfant, de sorte que le dedans de sa main tournait en dehors.

Il aimait assez le vin blanc, l’aubergiste : Encore un verre, dit-il, mais je le remerciai en lui disant : Vous ne le plaignez pas ! — Ma foi, dit-il, cette année nous avons plus de vin que d’eau ; le puits de la place est à sec et il faut aller au diable chercher l’eau avec des barriques.

C’est vrai que l’eau est rare dans cet endroit-là, et j’ai ouï dire que la même eau de vaisselle y sert quinze jours ; mais peut-être on dit ça pour rire.

Cette cuisine était pleine de mouches qui bruissaient réveillées, dans les paquets de fougères pendus au plafond, et couvraient la table ; c’était déplaisant. Je sortis pour me secouer un peu : les marchands forains commençaient à arriver, portant leurs marchandises sur des charrettes ou à dos de mulet. Ils arrivaient de Montignac, de Rouffignac, de Périgueux. Leurs bancs étaient plantés par le placier ; et