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travers les vitraux, bien faiblement. Tout le bourg dormait. On se couche de bonne heure dans ces petits endroits, on s’y lève de même, et on y met la nuit à profit. Dans le cimetière, autour de l’église, tout était tranquille. Presque point de pierres, mais des croix plantées au milieu des hautes herbes marquant les fosses. Ceux qui sont là, me pensais-je, dorment aussi, et dorment bien. C’est là qu’il nous faut tous venir nous coucher un jour, riches ou pauvres, heureux ou malheureux, et nous confondre et mêler à la terre, jusqu’à ce point qu’on ne puisse retrouver un peu de poussière de nous. Et comme toutes mes idées se tournaient toujours vers Nancy, je songeai qu’un jour, nous serions couchés tous deux dans le cimetière de chez nous, à côté de mon père, de ma mère, et que nous mêlerions notre poussière à celle de tous les Nogaret enterrés là depuis une centaine d’années. Au moins, me disais-je, pourvu que ce soit après que nous aurons élevé nos enfants, lorsque nos cheveux auront blanchi ; alors, à la garde de Dieu : après une longue vie de travail, il faut se reposer.

En rêvassant ainsi, j’arrivai à Saint-Orse, ayant dépassé, sans m’en donner garde, la cafourche dont m’avait parlé le grand Nogaret. Les hautes murailles de l’ancien château se dressaient en noir sur le ciel, dominant la petite combe aux prés verts, d’où montait une bonne odeur d’herbes mûres. Il était une heure et demie à peu près, lorsque je traversai le bourg. Au bruit des pas de ma jument, un âne se mit à brâmer au fond d’une étable et ce fut tout ce que j’entendis. Continuant ma route, je ne marchais pas vite, préférant ménager ma monture, sachant qu’il me faudrait attendre assez longtemps à Thenon.

À partir de Saint Orse, on traversait un pays qui n’était guère beau, ni encore. C’était des bois de chêne repoussant sur les vieilles souches, chétifs et