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à la cafourche du chemin de la Germenie, me dit le grand Nogaret, méfie-toi.

— Je n’ai guère d’argent, et puis j’ai une bonne réponse pour ceux qui me demanderaient : la bourse ou la vie ! lui répondis-je en montrant le bon bâton ferré qui pendait à mon poignet par une lanière de cuir.

Je m’en allai tranquillement : il faisait un petit clair de lune et le temps était doux. Chemin faisant, je pensais à Nancy, à notre prochain mariage, et je me trouvais bien heureux de prendre une fille comme ça. Quand je venais à la comparer aux autres de ma connaissance que j’aurais pu fiancer pour être de même position que chez nous, comme la fille de Mathet, du Taboury, ou la grosse Rose de chez Latour, de Coulaures, ou Mariette Brizon, de Nanthiat, ou Félicité de chez Roumy, ou la jolie Nanon Férégaudie, de Corgnac, qui aimait tant les rubans et la contredanse ; je me disais qu’aucune de celles-là ni d’autres ne lui venaient à la cheville.

Quelques milliers de francs apportés dans une maison, s’en vont vite lorsque la femme ne sait gouverner, ou qu’elle est dépensière. L’argent ne gâte rien, c’est sûr, mais il faut regarder premier à la convenance, et puis après s’il y a de l’argent, tant mieux ; s’il n’y en a pas, tant pis : pourvu qu’on puisse vivre en travaillant, c’est tout ce qu’il faut. Pour moi, j’étais heureux de faire une petite position à celle que j’aimais, et je voyais déjà ma chère promise mettant tout bien en ordre chez nous, faisant la maison riante, et rendant tout son monde content et heureux, même les bêtes, même la pauvre Finette que Marion ne pouvait souffrir dans la cuisine, encore qu’elle vînt de chasser.

Ces pensers agréables me faisaient couler vite le temps. En passant à Chourgnac, je ne vis aucune lumière, excepté celle de l’église qui pointait à