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maient autant que si elle l’eût été de vrai. Et maintenant qu’ils devenaient vieux, elle allait les quitter ; les abandonner ; qu’est-ce qu’ils allaient devenir à cette heure ? Si elle s’était mariée avec un travailleur de terre, par les moyens de ce gendre qui serait venu chez eux, ils auraient pu prendre une bonne métairie et se tirer d’affaire.

Après avoir écouté toutes les lamentations de Jardon, mon oncle lui dit que ce qu’il redoutait pour Nancy pouvait lui arriver aussi bien avec un autre sans le sou ; que tout bien tourné et retourné, il valait mieux pour elle et ses père et mère nourriciers, qu’elle épousât un garçon qui l’aimait, et avait quelque bien, car les uns et les autres pouvaient s’en ressentir. Au reste, ajouta-t-il, il faut voir ces Messieurs de l’hospice de Périgueux, c’est d’eux que ça dépend, et je vais leur en faire parler par Masfrangeas.

Cette annonce fit de l’effet sur Jardon, et lorsque mon oncle le quitta, il protesta qu’il était bien content de cette affaire, mais qu’enfin les enfants ne devaient pas être ingrats envers leurs vieux qui les avaient élevés, et les abandonner à la misère, sur leurs derniers jours.

Le soir, avec mon oncle, pour arranger tout, nous convînmes de mettre les Jardon dans le petit bien du Taboury qui me venait de la Mondine, et de leur en laisser la jouissance. Je le faisais principalement pour la vieille, qui était une bonne femme qui aimait bien sa fille ; si ce n’eût été que pour Jardon, je ne l’aurais pas fait. D’ailleurs, depuis que nous avions acheté de M. Silain, il fallait de toute force, mettre à la Borderie des métayers un peu forts ; Jardon et sa femme ne pouvaient travailler ce bien.

Le lendemain, j’épiai Nancy, et lorsque je la vis aller à la fontaine j’y fus aussi. Je fus tout étonné de la trouver bien triste et les yeux rouges. Lui ayant