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Mon oncle se mit à rire tout doucement, lorsque je lui parlai de ça, comme un homme qui s’y attend. Il me dit que puisque j’y avais bien pensé, qu’il donnait de bon cœur son consentement, et qu’il ne restait plus qu’à avoir celui du père Jardon et celui des Messieurs de l’hospice. Nous causâmes longuement le soir de ça, et ce qui me faisait plaisir, c’est de voir tout le bien qu’il pensait de Nancy : moi j’en pensais tout autant, mais je n’osais pas le dire.

Le lendemain, j’allai dans le jardin de bonne heure, et d’un coup de pierre, je jetai bas le chapeau de l’épouvantail ; puis après avoir bu un coup de vin gris, je m’en allai en route bien content.

Dans la journée mon oncle trouva le vieux Jardon et lui parla de l’affaire. Il y en a qui croiraient qu’il se pressa de toper, mais il n’en fut rien ; c’était une occasion de tirer quelque chose pour lui et il n’y manqua pas. Oh ! sans doute, il était bien content de voir sa fille prendre un bon parti, un parti qu’elle ne pouvait pas espérer, n’ayant rien ; c’était bien de l’honneur qu’on lui faisait ; seulement, il y avait beaucoup de si et de mais. Si, plus tard, je venais à me repentir d’avoir pris une femme pauvre, et que je la rendisse malheureuse, il en aurait, lui, Jardon, la responsabilité, n’est-ce pas ? Il ne disait pas que ça serait, mais enfin ces choses s’étaient vues. Et puis, si Nancy venait à retrouver ses parents, qui devaient être riches, puisqu’on lui avait mis dans ses bourrasses la moitié d’un ancien louis d’or, en la portant au tour ; oui, si quelqu’un ayant des centaines de mille francs, venait confronter l’autre moitié du louis à celle qu’elle avait à son collier ; n’aurait-on rien à lui dire, à lui son père nourricier, de l’avoir mariée sitôt ? car enfin elle était jeune encore et rien ne pressait.

Bien entendu, mon oncle n’avait pas grand mal à rembarrer les mauvaises raisons de Jardon, mais ça