elles se couvrent toujours, soit d’un mouchoir ou d’un bonnet, et les vieilles d’une coiffe.
Je raconte comme ça tout ce qui se passait entre Nancy et moi ; je sais que ce n’est pas rien de bien curieux, et qu’il en est arrivé autant à d’autres. Mais peut-être il y en aura des vieux qui, voyant ceci, se rappelleront avec plaisir leur jeunesse. Pour moi, en le racontant, il me semble revenir à ce temps heureux.
Notre petite fâcherie, ou pour mieux dire celle de Nancy, ne dura pas longtemps, car elle était trop bonne pour faire de la peine à quelqu’un qui l’aimait. Il arriva bientôt une affaire qui nous attacha davantage l’un à l’autre, ou du moins força ma bonne amie à le montrer un peu plus.
Nous étions en 1849, et au mois de mai. Dans les premiers jours, la mère Jardon fut à Négrondes, où elle avait une sœur mariée, pour la vôte qui tombe le 9 de ce mois-là, et elle y mena Nancy. Moi qui savais ça, je m’y en allai aussi, et je me promenai bien du temps avec elle, après quoi nous fûmes danser. Il y avait dans le bal un garçon maréchal, de Sorges, grand mauvais sujet, qui dansa une contredanse avec Nancy en faisant le faraud et le joli-cœur, comme il y en a. Mais elle ne voulut plus danser avec lui, quoiqu’il fût venu la demander plusieurs fois. Comme moi je dansais souvent avec elle, il vint me taper sur l’épaule en disant :
— Sors un peu, farinier, j’ai deux mots à te dire.
— Et qu’est-ce que tu me veux, brûle-fer ?
— Ce que je te veux, c’est que je te défends de plus danser avec cette grande fille, qui est chez les Jardon.
— Et de quel droit ? lui dis-je.
— Parce que je ne le veux pas.
— Méchant goujat ! et c’est toi qui m’empêcheras ?
— Oui, et si tu y reviens, tu auras à faire à moi !