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il s’arrêtait, quand je repartais il repartait : je lui tirai des pierres, mais il ne s’en allait pas. On dit que ces bêtes-là suivent les gens pour se jeter sur eux s’ils viennent à tomber ; je le croirais assez. On a beau dire, c’est embêtant d’avoir comme ça sur ses talons une sale bête qui épie le moment de vous attaquer, s’il vous arrive quelque chose. Moi, j’arrivai au Frau au bout de trois quarts d’heure, toujours suivi par le loup. Aussitôt dans la cuisine, j’attrapai le fusil au-dessus de la cheminée et je sortis. Le loup s’était arrêté sur le chemin à une quarantaine de pas de la maison ; quand il me vit armé, il jeta un hurlement, sauta dans la combe et gagna les bois.

Ce rude hiver donc, emmena quelques vieux. La Mondine tomba malade et ne bougeait plus du coin du feu, de façon que la Nancy venait tous les jours chez nous, pour faire les affaires, ce qui me plaisait fort. Et on ne pouvait pas dire autrement, sinon qu’elle était bien propre, vaillante et sachant faire tout à propos. Jusqu’à la Mondine, qui trouvait qu’elle faisait bien, chose extraordinaire, car les vieux se plaignent toujours des jeunes, surtout quand ils sont malades, parce que ça les rend de méchante humeur ; mais aussi, Nancy avait bien soin d’elle, et la consultait toujours.

Le soir, après souper, quand tout était rangé en place, j’accompagnais Nancy jusqu’à la Borderie à cause des loups, car il en venait rôder autour de la maison. Elle disait bien qu’elle n’en avait point peur, les ayant fait fuir plus d’une fois d’autour de ses brebis, en tapant ses sabots l’un contre l’autre ; mais moi je faisais celui qui n’est pas trop rassuré pour l’accompagner.

Nous causions en nous en allant, moi relevant le collet de mon sans-culotte, et Nancy sous une capuce de grosse laine. Nos sabots menaient grand bruit sur la terre gelée, mais ça ne nous empêchait pas de