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dessus de Lisle, de celui de Roufellier qui est au-dessous, et même de celui de Bonas, près de Saint-Apre.

Tous ces meuniers habillés de blanc, avec leurs fouets à pompons autour du cou, se réunissaient à cette grande croze, d’où on a tiré tant de pierres de taille, qui se trouve presque au-dessous du clocher bâti sur le roc. Ce jour-là, ils étaient bien une trentaine, et chacun à son rang manœuvrait son fouet à tour de bras. Il y a dans cette grotte un écho qui répétait à n’en plus finir les pètements du fouet. On ne le dirait pas, mais pourtant, il y en avait qui étaient tellement habiles que leurs pétarades ressemblaient quasiment à une musique. Moi je ne suis pas connaisseur en cette partie-là, c’est vrai, mais des fois j’ai entendu des musiciens, avec un tas de pistons et de machines en cuivre et la grosse caisse et tout, qui faisaient un bruit assommant, et je me disais alors que j’aimais mieux la musique des fouets à Brantôme.

Ceux qui jugeaient les concurrents, c’était trois des plus vieux meuniers, de ceux qui ne pouvaient plus tenir le fouet, et celui qui était le plus fort à leur avis, on le nommait pour l’année le Maître du fouet. Ce jour-là ce fut le meunier des Roches qui gagna.

Les joutes de fouet se sont perdues et ça se comprend. Les meuniers d’aujourd’hui ne font plus porter les sacs à dos de mulet ; il y a des routes et des chemins partout ; ils se servent de charrettes et ont des fouets de charretiers. Or, ce n’est pas avec ces méchants engins qu’on fait de belle musique ; il faut pour ça les anciens fouets à manche court, à lanières de cuir tressées avec de gros nœuds : fouets de meuniers et fouets de postillons.

Le lendemain de la fête, après déjeuner, je repartis pour le Frau. Le cousin et la cousine me firent un bout de conduite sur le chemin de Lachapelle-Faucher.

— Ah ça ! me dit le cousin, je pense que tu ne tarderas pas à nous rendre la pareille ?