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elle avait changé ! Quelle belle fille elle était devenue, et grande ! Ce n’est pas ses hardes qui la faisaient valoir ; elle n’avait sur le corps qu’un cotillon de droguet et un grand mouchoir à carreaux par-dessus sa chemise ; mais elle n’avait pas besoin de beaux habillements. Sa poitrine ferme soulevait la grosse toile et tremblait à chaque coup de talon sur la terre ; ses hanches s’arrondissaient bellement sous le droguet, et elle avait la démarche mesurée des femmes bien faites. Elle portait un panier sur la tête, et le tenait d’une main, en sorte que sa chemise découvrait jusqu’au coude, son bras fort un peu hâlé.

Je l’avais toujours tutoyée jusqu’alors, comme on fait aux petites droles, mais ma foi quand je vis cette belle fille, je n’osai plus. Nous parlâmes un peu, et elle continua son chemin, s’excusant sur ce que son père et sa mère devaient l’attendre.

Depuis ce jour, je commençai à penser à elle, et plus j’y pensais, plus je trouvais que dans tout le pays, il n’y avait point de fille qui pût lui être comparée, je ne dis pas seulement de celles de la campagne, mais même à Excideuil, où on voyait pourtant de belles filles. C’était surtout son regard clair et tranquille, et son sourire bon qui me plaisaient tant. On voyait rien qu’à ça, que c’était une fille point coquette ni mauvaise, mais une honnête créature à qui on pouvait se fier.

Dans ce moment, des parents que nous avions devers Brantôme, nous invitèrent à la noce de leur aîné. Mon oncle n’y pouvant aller, m’y envoya. Nous étions parents de vrai, mais éloignés, ne sachant à quel degré, et seulement que nous étions tous des Nogaret, venant du même auteur, qui avait été meunier du moulin des moines de Brantôme. Ces Nogaret qui mariaient leur fils étaient meuniers aussi, et leur moulin était sur la Drone en remontant, au-dessus des Roches. Ce fut une crâne noce, ma foi.