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pas libre si on voulait flâner deux heures, et pour mieux dire, sentir toujours sur son cou le collier de misère.

Au lieu de ça, j’étais au Frau, chez moi, avec mon oncle qui ne m’aurait jamais rien dit, quand même j’aurais manqué, me levant, me couchant, allant au travail quand je voulais, et ne voyant autour de moi que des figures joventes. Et puis le grand air, le beau soleil, le travail sain qui fatigue le corps et fait bien dormir ; le plaisir qu’on a de voir pousser et mûrir ce qu’on a semé, de voir profiter des bêtes bien soignées ; quelle différence avec le travail de bureau auquel on ne s’intéresse pas, qui vous tient toujours assis, vous casse la tête, et vous fait rêvasser la nuit.

Le métier de meunier, et la vie que je menais, me plaisaient donc, et il n’y a pas chose pareille pour faire un homme content. Après avoir bien travaillé la semaine, le dimanche j’étais de loisir et je m’amusais. Souventes fois, prenant notre chienne Finette, je partais à la pointe du jour pour aller chercher un lièvre. Des coups mon oncle venait avec moi, mais pas toujours. Bien entendu nous ne prenions pas de port-d’arme, car d’aller porter vingt-cinq francs au collecteur d’Excideuil pour l’avoir, ça nous surmontait. D’ailleurs nous ne craignions pas guère les gendarmes, ils étaient loin, et pour venir nous chercher dans un pays plein de termes, de combes et de bois que nous connaissions comme notre poche, ça leur était défendu. Il fait bon le matin monter sur nos coteaux pierreux où on trouve la lavande sauvage et l’immortelle qui fleurent fort ; ou traverser les bruyères roses entremêlées de balais à fleurs jaunes et de hautes fougères. Les ajoncs ne manquent pas non plus par là, et il y en a dans des fonds qui ont huit ou dix pieds de haut, bien fourrés, sous lesquels les loups font leur liteau.