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« Le pays où l’on naquit, où l’on a grandi, où, petit enfant, on tendait des gluaux au bord des mares claires fréquentées par les linots et les chardonnerets ; les taillis, les chaumes et les maïs que, jeune homme, on a tant de fois arpentés, guêtres au mollet, carnassière au flanc et fusil sur l’épaule ; le paysage familier enfin, qui vous a pénétré insensiblement, voilà ce qu’il faut décrire, car voilà seulement ce que vous rendrez avec puissance, de façon à impressionner votre lecteur. C’est qu’il fait partie de nous pour ainsi dire, ce paysage, c’est qu’il est en nous, qu’en le donnant nous nous donnons nous-mêmes : il vit et, partant, il émeut.

« L’écrivain aura beau disposer d’une langue riche en mots qui peignent et qui sculptent, je le défie de me toucher par la description, quelque matériellement exacte qu’elle soit, d’un pays traversé en touriste ou vu par une portière de voiture. La nature n’a pas de ces facilités de courtisane et ne s’abandonne pas ainsi au premier passant venu[1]. »



II


Cette sincérité du narrateur, déjà si précieuse en elle-même, est servie, dans le Moulin, par une

  1. Nos Gens de lettres, p. 284.