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bœufs on voyait là. Rien qu’avec ceux des métairies du château, il y avait pour faire une petite foire, et les gens de la Nouaillette, de la Braguse, du Fornial, de la Charlie, n’en manquaient pas non plus, sans parler de ceux du bourg où il y en avait beaucoup.

Et puis, ce qui était beau à voir, c’était, rangés derrière les bœufs, ces grands chevaux anglais, avec leurs couvertures et des capuces qui leur venaient sur la tête avec des trous à l’endroit des yeux, de crainte des mouches, ce qui ne les empêchait pas de se tracasser et de gratter la terre. Jusqu’aux quites chiens on amenait là, pour les faire bénir ; beaux chiens de chasse blancs et rouges, et grands chiens levriers gris de fer, avec des colliers d’argent.

À côté de ces bêtes bien nourries et bien habillées, on voyait de pauvres diables de paysans, avec des vestes déchirées, et des culottes effilochées, les pieds nus dans leurs sabots, se tenant devant la petite paire de veaux maigres comme eux, qu’ils tenaient à cheptel.

Ça faisait quelque chose, tout de même, de voir tous ces beaux chevaux, bien en point et luisants, et ces chiens bien soignés, à côté de ces pauvres gens qui, en ce temps-là, mangeaient de méchantes miques et du mauvais pain noir, chaumeni, où il y avait moitié de pommes de terre râpées, et qui tant seulement n’avaient pas vaillant le prix des colliers d’argent des chiens.

Mais l’habitude faisait que guère personne ne s’avisait de penser à ça, et de se demander comment il se pouvait qu’il y eût encore des hommes plus malheureux que des bêtes.

Les messieurs à qui étaient les chevaux et les chiens étaient d’ailleurs bien bons, bien charitables, et secourables aux malheureux comme il n’y en a guère ; mais avec ça, ils ne pouvaient faire que la