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surtout, car beaucoup d’hommes étaient par les terres. Toutes s’exclamaient sur ma taille, trouvant que j’avais beaucoup grandi, comme si c’eût été quelque chose d’extraordinaire. J’appris que plusieurs de ceux de mon âge étaient partis pour leur sort ; j’en trouvai quatre ou cinq qui avaient tiré un bon numéro ou qui avaient été exemptés, et nous parlâmes du temps où nous allions par les soirs de neige, chercher les oiseaux à l’allumade, dans les Bois-Lauriers ou courir le guilloniaou, comme nous disions, qui est plutôt : Lou gui-l’an-niaou, c’est-à-dire : le gui l’an neuf, un antique souvenir de nos ancêtres les Gaulois. C’était la nuit de Noël, que, malgré le froid et la neige, nous allions par les champs, les villages et les maisons écartées, avec des brandons allumés et des torches de résine, en chantant de vieux Noëls du pays périgordin.

Le bourg n’avait pas changé. Les maisons étaient toujours groupées en désordre au pied des hautes murailles de l’esplanade du château du côté du midi, et se chauffaient au soleil toute l’après-dînée. La place en pente raide, toute pierreuse et bordée de maisons avançant, reculant, sans souci de l’alignement, était toujours le lieu des ébats des poules, des oies, des canards, et parlant par respect, des cochons. L’hôtellerie du Lion-d’Or, bien renommée dès ce temps et encore, balançait toujours au vent son enseigne de tôle peinte, et tout joignant, la vieille halle, surmontée de la chambre d’audience, était toujours là, avec ses anciennes mesures de pierre, et son pavé gras où le boucher tuait une velle, de temps en temps.

C’est sur cette place, que le mercredi des Cendres, on montait un tribunal pour juger Carnaval. On l’apportait là, le pauvre diable, avec un vieux gipou, sorte d’habit-veste à pans courts, et un chapeau tout bosselé, et on le plantait devant les juges masqués. Puis le procureur l’accusait de toutes sortes