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et je portai le sac à la cuisine. En entendant ouvrir la porte, la demoiselle vint, et ne fit aucune attention à mon habillement. Avec son grand bon sens, elle trouvait tout ordinaire que puisque je me faisais meunier j’en eusse le costume. Mais qu’elle était changée, la pauvre ! Je n’y avais pas pris garde à l’enterrement de ma mère, mais ce jour-là, je m’en aperçus bien. Ses yeux si beaux étaient mâchés par dessous, son front avait déjà quelques fines rides, elle avait maigri, et surtout, il y avait sur toute sa figure une tristesse qui me faisait mal à voir. Elle avait la trentaine passée, la pauvre demoiselle, et elle voyait bien qu’elle ne se marierait jamais, elle si aimante et si bonne pour les petits enfants. M. Silain continuait toujours son train de vie ; voyageant d’un côté et d’autre, mangeant son bien morceau à morceau, de façon que la pauvre, elle voyait venir la misère pour ses vieux jours.

Elle fut bonne pour moi, comme d’habitude, et me parla de ma mère, et m’en dit tout le bien possible. Puis elle fit cette réflexion, que pour ma mère qui avait un fils qui l’aimait bien, ce n’était pas le cas, mais que souvent ceux qui s’en allaient étaient bien heureux. Je redescendis au Frau tout ennuyé de l’avoir vue comme ça.

Le jeudi suivant, je trouvai, comme il avait été convenu avec ma tante, mon cousin Ricou à Excideuil. Nous étions du même âge ou guère s’en faut, et pendant le temps que j’étais resté chez lui, nous étions grands amis. C’était un fort gaillard maintenant, toujours content, toujours chantant et aimant à s’amuser. Dans la journée il me fit passer au moins dix fois dans une petite rue assez déplaisante, sans que je me doutasse pourquoi. Nous nous attardâmes un peu à l’auberge, et en mangeant un morceau, il m’apprit que dans cette petite rue demeurait une fille qu’il avait vue à la vôte de Tourtoirac, et qu’il avait