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pourquoi portait-il le dais aux processions, lui dont le même aïeul avait fait mettre en réclusion, avec raison d’ailleurs, les curés des environs qui prêchaient contre la République ?

Comment ! il avait encore dans son héritage des biens nationaux, ou des écus en provenant, et voici qu’il reniait son grand-père et la Révolution ! Quel malheur !

C’est en dévoilant impitoyablement les origines des bourgeois vaniteux, c’est avec des brocards cruels contre les mauvais riches, qu’il consolait les pauvres gens de leur misère. Et lorsqu’on lui parlait des nobles d’avant la Révolution, il disait que la plupart d’entre eux avaient des origines semblables, seulement que c’était plus vieux et qu’on ne s’en souvenait plus. Et là-dessus il citait ce riche maître de forges de Jumilhac, fait baron par Henri IV, à qui il avait prêté de l’argent et des canons. Oh ! il y en avait de plus anciens sans doute, qui descendaient de ces brigands féodaux qui pillaient et tuaient les pauvres paysans, comme Archambaud, mais il n’y avait pas là de quoi être fier. Quand je pense, disait-il, que ce bandit a fait enfumer et étouffer dans un cluzeau, près de Périgueux, une trentaine de paysans qui s’y étaient cachés pour lui échapper, je me demande comment il s’est sauvé un seul noble à la Révolution !

— En finale, ajoutait-il, c’est tout la même chose. Les nouveaux riches sont plus ridicules, les anciens étaient plus méchants ; mais les uns et les autres ont fait et font encore au peuple toutes les misères qu’ils peuvent. Le pouvoir et les moyens ont changé, mais l’intention y est toujours. On ne peut plus tuer un paysan, mais on le fait crever de misère, ça revient au même, sans compter que c’est plus long.

— Pourtant, lui disait-on quelquefois, il y a des riches et des nobles, qui sont de braves gens, pas