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n’étant pas là, je trinquai avec Lajarthe, qui me dit que ça tombait bien, qu’il en avait encore pour le lendemain, céans, mais qu’il viendrait au Frau, le surlendemain, sans faute.

Il vint, en effet, le surlendemain au matin. Il fallut commencer par boire le vin blanc ; après ça Lajarthe regarda le drap que nous avions porté d’Excideuil, il le fit claquer dans ses doigts, demanda le prix, et quand mon oncle eut dit qu’il l’avait payé sept francs quinze sous l’aune, il déclara que Dameron ne nous avait pas trompés. Ensuite il me prit mesure. Oh ! c’était bientôt fait ; il ne le faisait même que pour contenter les pratiques qui auraient eu peur, sans ça, qu’on leur gâtât leur drap. Je crois bien qu’il ne se servait guère de ces mesures, qu’il logeait dans sa tête ; mais il avait le coup d’œil et ne se trompait pas. On racontait comme exemple de son habileté, qu’un jour ayant une culotte à faire pour un homme d’Autrevialle et l’ayant trouvé tout en haut d’un noyer qu’il récurait, comme l’homme voulait descendre pour se faire prendre la mesure, Lajarthe lui avait crié : Ça n’est pas besoin ; tiens-toi droit ! c’est bien, je vois ton affaire ! et qu’il s’en était retourné ainsi. Et l’homme assurait que jamais de sa vie il n’avait eu une culotte où il fût plus à son aise.

Il était bien curieux ce Lajarthe. C’était un petit homme sec et brun, avec des petits yeux noirs qui brillaient comme des chandelles. Le moyen que ses parents avaient employé pour les lui éclaircir avait réussi, car ils lui avaient fait percer, à ce qu’il disait, les oreilles à cette fin, en sorte que Lajarthe portait des pendants d’oreille comme des anneaux de mariage. À ce moyen, lui avait ajouté le tabac, et lorsqu’il travaillait, il tirait souvent sa tabatière à queue de rat, étendait la main, le pouce bien détaché, et dans le petit creux qui se formait, il faisait couler doucement une forte prise qu’il reniflait en deux