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et leurs élèves, des enfants du peuple. Leur manifestation fut bien conduite et n’eut rien de commun. Ils arrivèrent en blouses vertes, cocardes à la casquette, avec leurs bannières et des branches de verdure, en chantant un hymne patriotique, et se rangèrent de front devant le perron de la Préfecture. Après que les commissaires eurent passé une sorte de revue, ils formèrent le cercle sur un signal, et chantèrent un chœur composé tout exprès pour la circonstance à ce que je crois ; quelques bribes m’en sont restées dans la mémoire :

Ils avaient dit dans leur délire,
Vous réclamez en vain vos droits ;
Vos droits nous saurons les proscrire,
Courbez-vous tous, nous sommes rois !
À cet ordre, loin de se rendre.
Le Peuple souverain
S’est levé soudain,
Sa grande voix s’est fait entendre :

Égalité, fraternité,
C’est le cri de toute la France,
Et désormais indépendance,
Union, force et liberté !

Tout ça était trop beau pour durer ; mais beaucoup des écoliers d’alors ont senti plus tard se réveiller dans leur cœur l’enthousiasme de leurs jeunes années pour la République et la Liberté, et se sont remémoré ces jours où tous les enfants du peuple étaient réunis dans un fraternel sentiment.

Quelque temps après, le conseil de révision m’exempta comme fils unique de veuve. Comme si elle n’eût eu plus rien à faire sur la terre, ma pauvre mère tomba malade. Elle languit quelque temps et mourut tout doucement, sans douleur, sans agonie, contente, disait-elle, d’aller rejoindre son cher mari.

Cependant, mon père avait refusé de se confesser à l’article de la mort ; mais la pauvre bonne femme