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déserté le bureau, et je me trouvais là, lorsqu’arriva la proclamation de la République. C’est une chose que je n’oublierai jamais, quand je vivrais cent ans. La poste aux lettres était alors dans une maison où fut plus tard l’étude Ranouil. Le seuil de la maison était plus élevé que la chaussée et se trouvait à peu près au niveau de la place. Un monsieur, je ne sais plus qui c’était, vint sur la porte et lut une dépêche. Peu l’entendaient, mais tous comprirent. Un grandissime et long cri de : Vive la République ! monta de cette foule immense, se prolongeant, se répétant et finissant par un roulement de milliers de voix, pour reprendre un instant après. Les chapeaux, les casquettes, les bonnets, volaient en l’air ; tout le monde se complimentait, se serrait la main, s’embrassait. Il semblait que jusqu’alors on n’eût pas vécu à son aise, et qu’on respirât plus librement.

En une heure, chacun eut sa cocarde tricolore à sa casquette ou à son chapeau. Les modistes étaient assiégées, et elles ne suffisaient pas à les faire assez vite ; aussi beaucoup achetaient du ruban et allaient chez eux : leurs femmes, leurs sœurs, avaient vitement fait de plisser les trois couleurs en une rosette et de l’attacher. Le lendemain, les enfants des écoles même, avaient leur petite cocarde à la casquette, et suivaient les rues en chantant la Marseillaise et le Chant du départ.

Et ce n’était pas un parti, une classe, une catégorie de citoyens qui se réjouissait ainsi ; c’était tous. Légitimistes, républicains, libéraux, prêtres, riches, pauvres, tous acclamaient la République. Il n’y avait guère de fâchés que les employés du gouvernement qui s’attendaient à être remplacés, et encore, parmi ceux-là, il y en avait qui criaient plus fort que les autres : Vive la République ! pour conserver leur place.

Le préfet, M. de Marcillac, étant parti, il fut