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fort que moi. Pourtant, j’étais assez familier avec la guillotine. Derrière les jardins des maisons du fond de la place, dans un terrain vague, où on portait des décombres, du côté de Saint-Pierre-ès-Liens, il y avait une petite maison où on la serrait, démontée, et, enfant, j’allais avec les autres, regarder par le trou de la serrure ces grands bois rouges qui nous faisaient frissonner ; mais voir tomber une tête, c’était bien autre chose.

Au bout d’un an et demi, je fus appointé ; on me donnait vingt-cinq francs par mois, et je me croyais riche, avec les dix francs que ma mère me laissait pour faire le garçon. En ce temps-là, j’étais tombé amoureux de l’aînée des demoiselles Masfrangeas, et mon argent passait en pots de pommade, et autres bêtises de ce genre. Je ne manquais aucune occasion de la voir, le dimanche à la promenade, ou à la sortie de la messe ou ailleurs. J’aurais pu aller librement chez elle, étant donné nos relations, mais ces petites rencontres me plaisaient : à l’âge que j’avais alors, on s’amuse de ces enfantillages. Je crois bien que Mlle Lydia s’était aperçue de mon manège ; mais qu’elle le sût ou non, je lui déclarai mes sentiments. C’était à un bal donné par une famille de leurs amis ; j’avais eu une invitation par M. Masfrangeas et je m’étais préparé quinze jours auparavant à cette fête. Mais j’eus peu de succès : j’étais gauche et point fait pour les exercices qui se pratiquent dans les salons.

Je me tirai donc assez mal de la contredanse où je figurais avec Mlle Lydia, qui me le déclara sans barguigner. Or, comme elle ne parlait que d’élégance, de bon genre, de distinction, et disait couramment qu’elle n’accorderait sa main qu’à un cavalier accompli, on doit penser que ma timide déclaration fut assez mal reçue. Au reste, aurais-je été un cavalier fashionnable que ses visées étaient plus hautes. Elle ne se croyait pas faite pour le neveu d’un meunier ;