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lange de poussière et de pâtes aigries. Et quand on ouvrait les fenêtres, c’était bien autre chose : on avait les senteurs infectes de la rue du Lys, mal nommée, dont le ruisseau du milieu gardait les résidus de tous les vases de nuit. Et c’était là, plus que la vue, ce qui me déplaisait tant. J’ai toujours été assez délicat pour les odeurs, plus que nous ne le sommes d’ordinaire dans le peuple. En respirant ces sales puanteurs, je me rappelais le temps où je galopais partout dans les bois où le trifoulet fleurait bon ; où je grimpais dans les termes pleins de genévriers, où venaient la lavande embaumée et les immortelles sauvages à l’odeur de miel. Ah ! me disais-je, si je pouvais encore, traversant une terre, humer la forte senteur de la roberte et me rouler le matin dans les chenevières, dont l’odeur me grisait étant petit !

Quelquefois je restais là, la plume en l’air, regardant fixement le coq juché sur la cime en pomme de pin du vieux clocher de Saint-Front, autour duquel les martinets tourbillonnaient avec des cris perçants et je ruminais mon chagrin, tout triste comme un passereau encagé.

Ce pauvre clocher comme on l’a abîmé, en le refaisant, sous le prétexte de le réparer ! ainsi que la vieille cathédrale, d’ailleurs, qui a été traitée comme le couteau de Jeannot et a perdu, intérieurement, ce caractère de grandeur antique et de sévérité imposante qu’elle avait autrefois.

Mais il y en a qui la trouvent plus jolie.

J’eus bientôt comme la maladie du pays. Un grand dégoût me prit, et je fus au moment de m’en aller au Frau. Mais ma pauvre mère était aux anges de me voir dans une position qu’elle trouvait très enviable, car elle me croyait bonnement sur le chemin de la fortune et des honneurs. Je n’eus pas le courage de lui dire la vérité et de lui causer ainsi un chagrin qui eût été très grand.