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Le jour de la noce, ils étaient vingt-cinq attablés dans la salle de la cure, mangeant et buvant ferme. Quant aux plaisanteries traditionnelles assez salées qu’on fait aux « novis » en Périgord, les convives étaient un peu retenus par la présence du curé qui présidait au repas, comme il était juste. Pourtant la « lie-chausse », ou jarretière, de la mariée, lui fut dérobée selon l’usage ancien, par un garçon qui s’était glissé subrepticement sous la table. Les parents de l’épousée avaient porté au presbytère toutes leurs victuailles, et un nombre respectable de ces grandes pintes de vin, dont douze font le baril et vingt-quatre la charge.

Mais enfin, tant ils burent, que la desserte était sur table près de sa fin, lorsque Nicolette vint dire à Guynefort :

— Ils n’ont quasi plus de vin !

Lui pensa un instant, puis élevant la voix dit aux « novis » et aux « contre-novis » :

— Prenez une pinte et allez la garnir à la fontaine de Saint-Pierre.

Les quatre jeunes gens étant revenus, déposèrent la pinte pleine d’eau devant le curé.

Guynefort la regarda une minute, puis comme inspiré soudain, la prit et la plaça dans un placard à double fond qui correspondait à un autre dans la cuisine. Après cela il se recueillit en une oraison jaculatoire, tandis que Nicolette vaquait à ses affaires de l’autre côté.

Au bout d’un moment, le bon curé se dressa en pieds, leva les yeux et les bras vers le ciel représenté par les solives du grenier, marmotta des paroles que nul n’entendit, fors le mot par lequel il termina son invocation : « Amen ! »

Et rouvrant le placard au milieu d’un silence solennel qui avait remplacé la gaîté bruyante des convives, Guynefort en tira la pinte et la posa devant lui sur la table. Puis debout, grave et sérieux, il dit aux épousés :

— Parez votre gobelet !

Et, prenant la pinte, tandis que tous les assis-