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peu ce qui se passe à la métairie : excusez-moi !… Tenez, voilà toutes les paperasses de la mairie, ajouta M. du Guat en ouvrant un placard, faites votre affaire…

S’en allant vers Chantors, deux heures après, Daniel réfléchissait à tout ce que lui avait dit ce maire gentilhomme.

« Sans doute, pensait-il, le paysan de la Double, isolé au milieu des landes et des bois, ignorant, misérable, méprisé par ses maîtres et la bourgeoisie, sans autres instructions morales que les prônes de son curé qu’il ne comprend guère, doit avoir à divers degrés les vices de sa condition malheureuse, de même que les riches ont ceux qu’engendrent l’opulence et l’oisiveté. Si ce paysan est dur, ainsi que l’assure monsieur du Guat, il l’est pour sa propre personne comme il l’est pour les autres, et comme le sort l’est pour lui. Sauf en des natures exceptionnelles, le malheur ne dispose guère à la bonté. S’il est grossier, incongru, qui donc lui a donné des leçons de savoir-vivre ? Est-ce que jamais un propriétaire a songé aux conséquences démoralisatrices de l’effroyable promiscuité où ses métayers vivent par sa faute ? Il est bien vrai que l’homme de la Double est superstitieux à l’excès ; mais qui donc lui a persuadé de venir tremper un membre estropié dans la fontaine miraculeuse de la Latière, le jour de la Saint Eutrope ? de faire bénir une rave à l’église, le jour de la Saint Blaise ? de faire jeûner ses bœufs et ses vaches, le vendredi saint ?

» Après cela, c’est une amère ironie que de reprocher leur chicheté à des gens qui ont grand’peine à vivre misérablement. Les braves gens qui les critiquent ont-ils seulement pris garde au courage qu’il faut à ces paysans mal vêtus, mal logés, mal nourris, minés