Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/93

Cette page a été validée par deux contributeurs.

» Ce paysan est plaideur à l’excès. Tout prétexte lui est bon pour aller devant le juge : une poule dans un jardin, le passage d’un voisin sur sa friche, le prêt d’un outil, une parole inconsidérée, et cætera.

» Enfin il est ingrat au delà de toute expression et les sentiments affectifs sont chez lui très faibles. Son chien devenu vieux, il l’assomme à coups de pioche… pour épargner une charge de poudre… Ses parents incapables de travail par l’âge, il leur met un bissac sur l’échine et les envoie chercher leur pain de porte en porte. Et combien en ai-je vu, qui, empressés de mander le maréchal pour un bœuf malade, laissent mourir leur femme sans appeler le médecin !…

— Oh ! fit Daniel.

— S’il l’emploie, ce médecin qui l’a soigné, lui et les siens, non seulement il ne le paie pas, mais il ne lui témoigne aucune reconnaissance, et ne croit même pas lui en devoir. Ne pensez pas que j’exagère : je l’ai ouï dire souvent à votre père, monsieur. Jamais l’idée n’est venue au paysan braconnier, qui prend des quatre-vingts ou cent lièvres par an, d’en offrir un à son bienfaiteur, à celui qui lui a prodigué ses soins, ou qui lui a rendu quelque autre service. En toutes choses, d’ailleurs, il est d’une parcimonie excessive.

» Voilà, docteur, le paysan doubleau… Ayez des attentions pour lui, témoignez-lui de l’intérêt, faites-lui du bien, tâchez de rendre son sort meilleur, il oublie tout cela, et, à l’occasion vous laisse en peine et fait l’insolent si vous avez besoin d’un coup de main.

— Le portrait n’est pas flatté ! repartit Daniel en souriant.

— Et, malheureusement, il est trop vrai… Là-dessus, je m’en vais faire partager le maïs et voir un