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journées d’octobre qui font sortir les serpents sur les chemins et « bader » les gros lézards verts au bord de leur trou. En traversant les bois, la Jasse, tourmentée par les mouches plates, secouait la tête, impatiente, malgré le soin que prenait son cavalier de l’émoucher avec une branche de noisetier. Tandis que sa jument excitée grimpait d’un bon pas, près de Légé, le chemin qui va passer à Échourgnac, Daniel s’ouït saluer par un bouvier qui labourait là près, dans une terre de la réserve du château.

— Tu délies tard, Bricou ! fit-il après avoir rendu le salut à cet homme, jadis berger au Désert,

— M’en parlez pas ! Je voulais finir cette dérayure, mais je vais m’en aller : je ne puis plus tenir mes bœufs ; les taons sont fous après leur peau !

— Allons, adieu, Bricou !

— Adieu soit, notre monsieur !

Et Daniel reprit sa route, pendant que le bouvier ôtait la cheville qui fixait le timon de l’araire au joug.

En cheminant, le jeune homme songeait à son créancier, le cousin de Légé. Ce M. de Légé était Charbonnière de son vrai nom, et de la même famille que Daniel, mais d’une branche qui avait « fléchi le genou devant l’idole », comme disait la tante Noémi. Son grand-père, petit praticien de village, retors et intrigant, avait abjuré le calvinisme pour obtenir la charge de procureur fiscal de la justice royale de Montpaon, qu’il avait échangé plus tard contre celle de juge de la vicomté de Double. Ce juge, frère de l’aïeul de Daniel, avait commencé la fortune de la famille, en exploitant sa magistrature seigneuriale avec une âpre avidité. Son fils avait continué après lui, et si bien opéré qu’à la Révolution il avait acquis la terre de Légé, vendue comme terre d’émigré. Le