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couper le gui sacré. Dans la demi-obscurité mystérieuse de la vieille futaie, d’énormes ceps, rampant sur la palène courte ou se tordant autour des troncs, comme de monstrueux serpents, attestaient qu’au temps où la Double était prospère il y avait eu là des vignes.

Le jeune homme rêva, un moment, à toutes ces choses passées, aux successives transformations du pays et de ses habitants, mais il fut bientôt désagréablement rappelé à la réalité présente.

Un sien taillis de trois feuilles, qu’il traversait, était piteusement abrouti, les pousses dévorées par les ânes et les mulets des charbonniers, ou les vaches abandonnées à la vaine pâture. Plus loin, dans une coupe incendiée par incurie ou malveillance, les cépées noircies se dressaient comme des tisons dans le sol charbonné.

Malcontent, Daniel revint vers le Désert. À quelque distance, sur un coteau tourné au Midi, des vignes basses, moussues, tapissaient les pentes herbues de feuilles jaunissantes. Au bas du coteau, des terres incultes et des champs froids attristèrent ses regards. Plus près encore, au-dessous de la maison, dans de grandes prairies pleines de joncs, était une rotière à rouir le chanvre, bordée de vieux saules éventrés et difformes. Çà et là, autour, quelques vaches aux flancs creux, aux hanches pointues, et une bourrique aux longs poils gris paissaient les herbes dures, encore humides de l’aigail de la nuit.

« Que de choses à faire ! » pensait le jeune maître en entrant à la cuisine, comme sonnait midi, l’heure du dîner.

— Et donc, demanda Sicarie, tu as revu ton bien ?

— Oui, et je n’ai rien vu de beau.