Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/50

Cette page a été validée par deux contributeurs.

frayées par les « gaultiers », ou gens des bois, — charbonniers, feuillardiers, bûcherons, braconniers. — En cheminant sur la terre molle, Daniel remarquait çà et là quelques débris de menues branches et de copeaux qui indiquaient l’abatage d’un baliveau. Dans un fond bourbeux, des traces encore fraîches marquaient le récent passage d’une harde de sangliers venus là au souil.

Au delà des taillis s’étendaient, sur un plateau, de vastes landes où Jannic touchait une centaine de brebis et quelques chèvres. César, flairant dans le vent l’approche d’un homme, s’élança en aboyant. Mais bientôt, ayant reconnu le maître, il s’arrêta en brandissant la queue et l’accompagna. Le pâtre était accoté contre un vieux châtaignier poussé là par hasard, un long bâton ferré en épieu à la main. Un havresac de peau passé en bandoulière par-dessus sa blouse décolorée, serrée à la taille comme une saye, contenait ses vivres de la journée : du pain, un oignon, un fromage de chèvre durci, large comme un écu de cent sols, une pomme et une grosse tranche de millassou, sorte de gâteau de blé d’Espagne. Il était chaussé de lourds sabots et ses jambes étaient enveloppées de peaux de brebis que retenaient des cordelettes entortillées en spirale, à l’antique mode gauloise. De dessous son bonnet de laine brune les cheveux blonds du garçon tombaient roides sur ses joues et sur ses yeux d’un bleu clair, qui souriaient un peu nicement.

— Hé bien, tu ne t’ennuies pas là tout seul, Jannic ?

— Que non, notre monsieur !

— Et à quoi penses-tu, tout le jour ?

— Je pense à notre gent… aux sorciers, aux