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— Allons, eh bien, nous vendrons !

Et alors, ayant trinqué une dernière fois, M. Cherrier se hissa sur sa mule au moyen de la pierre montoire et partit pour Mussidan :

— Adieu, mon ami !… D’ici à une quinzaine, je pense, je te saurai à dire quelque chose.

Resté seul, Daniel s’en alla vers les champs où labourait Mériol. Un brouillard épais enveloppait tout le paysage : à dix pas, on ne distinguait pas un châtaignier gros comme une barrique ; il semblait au jeune homme être perdu dans ces brumes opaques, et il tâtonnait avec son bâton pour se diriger. Le bouvier était invisible, et il était là pourtant ; Daniel entendait sa voix brève, assourdie par l’air ouaté, qui semblait venir de loin : « Ha ! ha !… » Cependant, tandis qu’il s’orientait, peu à peu l’attelage, ombre encore indécise, se dessinait faiblement dans la brume, comme une apparition rustique sortant du tréfonds de la terre. Deux vaches maigres, soufflant une buée dense par leurs naseaux dilatés, montaient lentement vers lui en tirant l’antique araire, qui traçait une raie légère dans le sol sablonneux, recouvrant à peine un mauvais fumier de bruyère lavé par les pluies. Au bout de la terre, Mériol arrêta ses vaches, et, silencieusement, cura le soc de la charrue.

— Elles ne sont pas trop fortes, ces vaches ! remarqua le jeune maître.

— Jeunes, répondit l’autre.

— Prête-moi l’aiguillon, dit Daniel au vieux domestique lorsque les vaches furent reposées, que je voie si je sais encore mener droit !

Le docteur Nathan, disciple enthousiaste de Rousseau, dont il avait donné les prénoms à son fils,