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cassait Daniel ; il lui semblait que la vie se retirait sans cesse de son corps autrefois si vigoureux. Alors, toujours paisible et serein, il empoigna sa bêche, et dans le jardin, tout près de l’endroit où dormait Sylvia, il commença de creuser sa fosse, à lui. Chaque jour, il ôtait quelques pelletées de terre, puis, las, il s’arrêtait, pour continuer sa tâche le lendemain.

« Épargnons, se disait-il, cette peine au fossoyeur… Aussi bien ne trouverait-on pas, après ma mort, dix sols pour le payer !

Un soir la fosse étant profonde assez, Daniel en sortit avec effort et contempla longtemps le trou béant où il allait bientôt se reposer et se dissoudre. Et, pensif, il se disait :

« Tout ce qui est corporel se perd très vite dans la masse totale de la matière ; tout ce qui agit comme cause particulière est repris très vite par le principe actif du monde ; et la mémoire du tout est très vite engloutie dans l’abîme du temps. »

Quelques semaines encore, malade, exténué, Daniel languit, « traîna ». Sa maigreur était invraisemblable : la chair, consumée par le mal, avait disparu : il ne restait plus que la peau très large recouvrant les os. Ses jambes molles ne pouvaient plus le porter ; il n’avait plus la force d’aller au jardin, où il avait apprêté son gîte suprême. Dans la maison il se mouvait péniblement, se soutenait aux murs comme un petit enfançon. Puis, un jour, il eut une syncope et lors comprit que sa fin était proche. De même que les bêtes sauvages, sentant la mort venir, se cachent au plus profond des bois, Daniel, les contrevents clos, s’enferma dans la cassine, et, tout habillé se coucha pour mourir.