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chez lui. Pour cette raison, il supprima encore les chandelles de résine dont il s’éclairait, et prit l’habitude de se coucher à la nuit, comme de se lever au jour. Il conservait le feu sous la cendre, et, s’il arrivait qu’il s’éteignît, battait le briquet. À chaque renoncement le solitaire se répétait : « Que de choses desquelles on peut se passer ! »

Le temps était long à vivre ainsi, cloîtré depuis les premiers jours de l’automne humide et pluvieux jusqu’à la fin de l’hiver souvent pluvieux de même, brumeux, gelé ou neigeux. Mais, Daniel ne souffrait pas d’être comme retranché du monde extérieur : cette vie d’ermite que peu d’hommes auraient supportée, il la préférait à la vie agitée des autres hommes, et, calme, sans hâte comme sans crainte, il en attendait philosophiquement la fin.

Quelques années encore il vécut de la sorte, sans communication avec le dehors, toujours santeux et robuste, grâce à la frugalité, à la sobriété de son régime. Ensuite, peu à peu, il constata que ses forces diminuaient. Il ne s’en étonna point sachant bien que la bonne mère nature nous donne de ces petits avertissements pour nous préparer à la mort.

Quelquefois, le soir, au coin de l’âtre, pendant que le vent d’hiver secouait la chétive demeure, en tisonnant les braises d’où venait une lueur incertaine, il se remémorait, en se les appliquant, ces vers du vieil huguenot Agrippa d’Aubigné :

Quand le baston qui sert pour attiser le feu
Travaille à son mestier, il brusle peu à peu…

Bientôt la fatigue s’aggrava d’un malaise positif, d’une fièvre lente et perpétuelle. Une soif ardente tra-