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jours chagrinait la noire trahison de Claret eut cette pensée réconfortante :

« Il y a encore du bon chez un peuple qui a des enfants spontanément reconnaissants. Avec l’âge, la misère et la souffrance, ces pauvres gens deviennent durs, égoïstes, ingrats et parfois malhonnêtes. S’ils étaient heureux, ils seraient meilleurs… »


Cette année-là les récoltes de la Saint-Michel étaient à peine rentrées que les pluies d’automne survinrent, abondantes, et bientôt la Double inondée ne fut plus qu’un immense marais. Le plus souvent Daniel restait au logis, n’ayant que faire aux champs. Pourtant quelque instinct d’activité le poussait quelquefois dehors, malgré la pluie. Il endossait alors sa vieille peau de bique, réparée en plusieurs endroits par Sylvia, et s’en allaient aux alentours d’un pas lent, la tête penchée, s’arrêtant de-ci de-là, observant et réfléchissant.

« À quoi peut-il bien penser ? se disaient ceux qui l’avisaient par hasard.

Revenu dans sa pauvre demeure, il s’occupait à peine du ménage. De plus en plus, par goût et par nécessité, il simplifiait sa nourriture. L’ennui d’aller fréquemment au loin faire moudre le maïs l’avait fait renoncer à l’employer en farine : il le mangeait grillé ou bouilli, comme les Indiens d’Amérique. L’obligation de se rendre à Échourgnac chez l’adjoint sourcier pour avoir du sel lui était désagréable : il s’accoutuma finalement à s’en passer. D’ailleurs les petites ressources que se procurait Sylvia pour ses menues dépenses, en allant vendre au marché quelques douzaines d’œufs ou même, plus rarement, une paire de poulets, lui faisaient défaut. À la lettre, il n’y avait pas un liard