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souvent rapiécés par Sylvia, offraient un aspect minable, mais il ne s’en souciait. La seule chose sur laquelle il gardait quelque délicatesse était la propreté de son linge, qu’il lavait lui-même avec de la saponaire.

Pour ce qui est du travail de la terre, n’ayant plus d’animaux, il labourait à bras. Le soir, sa bêche luisante sur l’épaule, il rentrait dans la maison déserte et préparait son frugal repas.

Après avoir plié, un instant, sous les coups de la fortune adverse, il s’était relevé, armé de courage, avait recouvré son égalité d’âme, et, n’ayant plus à souffrir qu’en sa personne, se sentait désormais invincible, par sa force de volonté et son mépris des hasards.

Chose étrange, depuis qu’il n’était plus un médecin bourgeois, un praticien exerçant officiellement, certains paysans reprenaient pour lui quelque peu de considération craintive. Son air caractéristique de vieux terrien misérable, sa barbe grise, ses yeux scrutateurs, sa vie solitaire qui prêtait aux suppositions mystérieuses, tout cela concourait à le faire passer pour sorcier dans l’esprit de quelques voisins : un sorcier comme le défunt Gondet, — plus puissant toutefois, qu’ils redoutaient comme ayant « la méchante vue ».

Quant aux bourgeois de la Double, quoiqu’ils l’eussent un peu oublié, ils se souvenaient parfois de lui comme du parpaillot, de l’homme aux doctrines subversives, aux projets spoliateurs, de l’ennemi, en un mot, mais ennemi dédaigné pour son impuissance et sa prétendue folie.

Eux n’avaient guère changé non plus. Si d’aucuns étaient morts, les survivants étaient toujours les mêmes hommes, égoïstes préoccupés d’intérêts maté-