Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/431

Cette page a été validée par deux contributeurs.

voyait encore l’angoisse désespérée qu’elle avait éprouvée en quittant son ami, et sortit de la maison.

Il faisait un clair soleil d’avril. Le temps était doux l’herbe verte, les bois d’alentour feuillus, les ajoncs de la lande étoilés de fleurs jaunes. Dans les pommiers fleuris du jardin, voletaient des pinsons amoureux…

Fermant la porte à clef, Daniel s’en fut chez le maire de la commune.

— Nous n’avons pas d’endroit dans le cimetière pour les huguenots, objecta celui-ci.

— De tout temps, nous enterrons nos morts chez nous, répliqua le docteur. Au Désert, nous avions notre cimetière particulier, vous le savez.

— Alors, faites à votre guise !

Revenu aux Essarts, Daniel se mit à creuser une fosse sous un pommier qui abritait un banc où Sylvia aimait à se tenir.

Le soir, la fosse n’était creusée qu’à la hauteur des genoux du travailleur ; Daniel rentra au logis. La morte était toujours là, dormant paisiblement de l’éternel sommeil : l’esseulé baisa ce front déjà glacé, puis revint vers le foyer éteint. Une oulle pleine de pommes de terre à l’étouffée, que Sylvia avait fait cuire le matin, était demeurée dans les cendres : le docteur en prit une et la mangea lentement.

Durant cette longue nuit, il veilla, allant de l’âtre froid au lit mortuaire. Là, il s’arrêtait, un moment, à méditer : « Mourir est une fonction de la vie… La mort n’est ni un bien ni un mal : on ne peut être malheureux lorsqu’on n’est plus… »

Quand le soleil du matin, passant par le fenestrou, vint toucher la couche funèbre, Daniel resta longtemps immobile, silencieux. L’expression du désespoir qu’avait éprouvé Sylvia en laissant à jamais son