Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/430

Cette page a été validée par deux contributeurs.

j’étais, lorsque tu me regardais il me semblait que j’étais tienne déjà… Et ce soir des fenaisons, plein d’étoiles, où, jeune pucelle amoureuse, je me donnai à toi au pied de la barge de foin embaumée !… Je voudrais bien savoir si le cerisier que je plantai en cet endroit même a prospéré ? ajouta-t-elle au bout d’un instant.

— Oui, ma fille, il est beau et vigoureux ! Passant par là vers la Saint-Jean, je l’aperçus tout rouge de cerises.

Elle lui jeta ses bras autour du cou, prise d’une émotion subite :

— Je veux vivre encore pour t’aimer ? fit-elle. Pauvre ami ! tout seul que deviendrais-tu ?

Et, dans une autre occasion, elle lui disait encore :

— Ce qui me rend fière, c’est que tu m’as aimé librement, sans maire ni curé, par ton seul vouloir ; et que moi, je t’ai aimé, non point par intérêt, mais pour toi-même, et davantage dans le malheur que dans le bonheur !

Ces effusions étaient en quelque sorte le testament moral de cette femme qui se sentait mourir.

Un jour, comme, debout devant la table elle taillait la soupe pour le déjeuner, Daniel entra, venant du travail. Elle tourna la tête vers lui, et, au moment où il s’approchait pour l’embrasser, elle défaillit dans ses bras :

— Pauvre père ! fit-elle en le regardant avec un profond soupir.

Elle n’en put dire plus, elle était morte.

Le malheureux docteur la porta sur son lit, et, s’asseyant auprès, il courba la tête sous ce nouveau coup, pourtant prévu. Puis il se redressa, regarda longtemps, fixement, le visage pâli de Sylvia, où se