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tout cela mêlé aux mugissements se brouillait au-dessus du champ de foire en un formidable bruit confus, en une prodigieuse clameur sinistre qui s’accordait puissamment avec l’horreur de la scène.

Puis, comme il arrive en ces désordres-là, les bœufs s’arrêtèrent subitement, les beuglements cessèrent, et l’on n’entendit plus que le brouhaha des gens échappés sains et saufs de la bagarre et les plaintes des blessés.

Parmi ceux-ci, d’aucuns avaient de fortes contusions : d’autres, des côtes enfoncées ou des membres cassés. Malheureusement, il y avait aussi des morts : un vieux paysan de Bénévent, dont les boyaux sortaient par le pont-levis déchiré de sa culotte en grosse étoupe, et la pauvre petite Noémi. En vain son père avait cherché à la préserver en la prenant dans ses bras : elle avait reçu dans le flanc un terrible coup de corne.

Et maintenant le père atterré tenait contre sa poitrine l’enfant immobile, dont les petits bras pendaient autour de son col.

Lentement il quitta le champ de foire et s’assit sur une banquette de pierre, sa fillette morte sur ses genoux. Il ne songeait point à des secours inutiles, car il avait senti contre lui le frémissement de la vie qui s’échappait de ce petit corps frêle, mais silencieusement il baisait la jolie tête pâlie qui reposait sur son cœur.

Bientôt il y eut autour de lui une affluence de curieux qui faisaient des remarques et discouraient sur ces paniques dont la cause est obscure. Les uns les attribuaient à un chien courant entre les jambes des animaux ; d’autres, à des insectes très redoutés des bœufs et dont le seul bourdonnement les rendait